La longue tradition d’études sur l’histoire urbaine de Rome s’est récemment enrichie d’un nouveau questionnement autour des sensorialités. Puisque, comme le rappelle Cassius Dion par la voix d’Auguste, « ce sont les hommes qui font d’une ville ce qu’elle est, non des maisons, des portiques ou des places désertes », la perception que les habitants avaient de leur milieu mérite d’être prise en compte, non seulement dans les discours sur la ville rédigés comme tels, mais également dans tous les moments où des auteurs livrent incidemment un fragment de leurs sensations. Il est alors question de compléter la posture de l’architecte ou du topographe, fondée avant tout sur le regard, pour considérer la ville vivante, c’est-à-dire un espace vécu, perçu, ressenti par des individus différents en statut, genre, âge ou condition sociale. Pour peu qu’on veuille bien les considérer, les sources antiques grouillent d’indications sur la manière que les Anciens avaient d’habiter la ville par tous les sens : non seulement les cinq hérités de la définition aristotélicienne, mais également toutes ces perceptions que les neuroscientifiques contemporains intègrent au sensorium humain (e.g. kinesthésie, thermoception, nociception, intéroception, sens vestibulaire…).

Il n’est certes pas nouveau de penser que la grande ville, par sa concentration humaine inédite, a produit un environnement sensoriel unique et éprouvant pour ses habitants. La thématique des nuisances de la ville (sonores, olfactives, tactiles entre autres) a déjà été traitée notamment à partir des textes d’époque impériale. Mais au-delà de ces cas qui attirent facilement l’attention, aucune étude systématique n’a été engagée, sur la longue durée de l’Antiquité, visant à rassembler tous les témoignages d’événements sensoriels rapportés par les sources et localisés dans le tissu urbain romain. L’objectif n’est pas celui d’un simple catalogue de ces phénomènes mais bien d’une compréhension contextuelle : c’est l’apport théorique de la sensory history que d’avoir dégagé les perceptions sensorielles d’une gangue naturaliste, mettant au contraire en avant la dimension sociale et historique de leur construction. Loin d’être des faits seulement biologiques, les perceptions sensorielles se situent à l’articulation de l’individu et des structures mentales cadrant l’interprétation des stimuli. Elles sont construites par la relation qu’un individu engage avec son milieu, dans un dialogue entre lui, ses structures perceptives et son environnement.

Une telle approche médiale engage nécessairement en complément un questionnement chronologique. S’il est acquis que nos sensations contemporaines ne doivent être automatiquement décalquées sur les Anciens, on peut légitimement poser la question d’une évolution de ces dernières au sein même de la période antique. Est-il possible de savoir si l’on sentait de la même manière lors de la 2e guerre punique et dans la Rome de Constantin ? Plus encore, on peut se demander si l’urbanitas propre aux habitants de la ville éternelle, mise en avant notamment par Quintilien, reposait sur une forme de sensorialité spécifique partagée par celles et ceux qui éprouvaient au quotidien la vie collective romaine à un moment donné. En d’autres termes peut-on dégager ce qui serait un éventuel gustus Vrbis, voire plusieurs « goûts de la ville » ?

Si l’un des axes de la réflexion propose donc de saisir ce que la Ville fait aux sens, cette dernière est centrale dans une interrogation qui portera également sur ce que les sens font à la Ville. En d’autres termes on s’appliquera à saisir le phénomène urbain antique de manière aussi fine que possible par l’appréhension sensorielle des Anciens, en sentant avec eux. Toutes les zones ne pourront être saisies avec la même profondeur : à titre d’exemple, le Forum concentre 400 des plus de 1150 événements sonores recensés à ce jour, représentant ainsi une masse d’informations sans égal. Cette disproportion même, si elle devait être confirmée par des études sur d’autres catégories sensorielles, est une source de réflexion importante, à aborder au croisement des types d’activités productrices de sensations. Il n’est en effet guère de pratiques sociales qui soit insensible et ne livre aux historiennes et historiens de la matière pour l’étude : les pratiques religieuses, celles du politique, de la vie économique, etc., impliquent des corps agissant dans la ville qui, ce faisant, informent sur elle et l’informent en retour.

Toutes les contributions s’inscrivant dans la présente démarche seront considérées, pour l’ensemble de la période antique. De même, toutes les approches méthodologiques relatives aux sciences de l’Antiquité seront appréciées, dans une démarche nécessairement pluridisciplinaire. Elles pourront notamment s’inscrire dans les axes suivants : 1. Réflexions méthodologiques ; 2. Approches thématiques ; 3. Approches topographiques ; 4. Comparatisme.

Cette rencontre, volontairement pensée de manière large et ouverte à de nombreux questionnements, est la première manifestation d’un programme de recherche. Un temps important sera donc consacré aux échanges et aux discussions afin de fédérer les énergies et d’élaborer collectivement la pensée à venir. Un second volet réunira en 2027 des spécialistes des questions de reconstitution sensorielles à partir des données archéologiques.

Les propositions de contribution, composées d’un titre et d’un résumé n’excédant pas 500 mots, doivent être envoyé à l’organisateur avant le 15 février 2026 à l’adresse suivante : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Appel (avec précisions sur les axes et bibliographie indicative)

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